lundi 20 janvier 2014

[ Event ] - Décembre 2018 (3)


Le bourreau s'éloigna en raclant le sol de ses chaussures, comme pour se débarrasser d'un chewing-gum collé sous ses semelles lourdes. Se déliant les chevilles, endolories par le poids du type les ayant écrasé suffisamment longtemps pour lui laisser des marques, Ralph retenta, en vain, de voir ce qui allait lui tomber dessus en se contorsionnant suffisamment pour passer le menton par dessus son épaule. Hormis la caméra, il ne voyait rien de dangereux arriver dans son champ de vision. S'ébrouant rapidement en réaction au courant d'air glacé lui longeant les omoplates, il décida qu'il était plus sage de calmer l'adrénaline brutalement relâchée dans ses veines, ferma son oeil valide, et inspira. Longuement. Calmement. La peur ayant accéléré son rythme cardiaque, il aurait été regrettable qu'il ne finisse par faire un blocage respiratoire, là, tout de suite, maintenant. Il s'était promis de ne pas donner satisfaction aux pulsions malsaines de son preneur d'otage, ce qui incluait de contrôler ses émotions, éviter de paniquer, et garder foi en la finalité des événements. Le brun doutait qu'il ait reçu l'ordre de le tuer. Mais le fait qu'il prenne la peine de filmer la scène à venir n'avait pas d'autre but que de le regarder souffrir.

Il eut une pensée pour Lunis, dernière victime en date des essais tortionnaires de Lowell. Ce dernier n'était clairement pas un professionnel de la manipulation psychologique, mais ils avaient pu tristement constater qu'il s'y entraînait assidûment en prenant pour cible le premier cas intéressant se présentant à lui. Lunis avait été choisi par ce malade pour mettre un frein à sa curiosité jugée gênante par l'ennemi. Et ainsi tuer dans l'oeuf le semblant d'ordre qui recommençait à apparaître dans les rangs du SAVES. Ralph ne pouvait pas juger de s'il avait réussi ou non. Dans tous les cas, son élève avait outrepassé la mauvaise expérience, et c'était plutôt bien remis en selle ... Quoique ça lui en eu coûté bien plus cher après coup, et que de toute manière, à l'heure actuelle, il ne se souvienne même pas d'avoir été traité comme un chien de combat.
Il était donc le prochain. Ralph ignorait quel était le pire dans ce manège : la punition en elle même, ou le fait d'attendre qu'elle vienne à lui ? Il n'avait plus envie de s'étendre sur le sujet. Déjà, dans son dos, une toute autre musique se fit entendre ...

C'était un son étrange. Un bruissement léger, volatile, peu audible mais particulièrement fluide. De toute évidence cela venait du sol, ou plutôt, c'était un son produit par le frottement entre le sol et ... Quelque chose. Il ne savait quoi. Cela n'avait rien d'effrayant, et écoutant attentivement une poignée de seconde, Ralph aurait qualifié cette singulière musicalité comme hypnotisante. Il se concentra, laissant parler son imagination, pour mettre un mot sur cette chose se déplaçant à l'abri de son regard. Dans le même temps, la démarche lourde et clopinante de son bourreau accompagnait le frottement ondulant ... Ce qui ne pouvait que vouloir dire que le type faisait exprès d'essayer de lui faire deviner ce qui pouvait bien lui tomber dessus dans peu de temps. Une longue minute s'écoula, ponctuée de temps à autre de ricanement, de soupir ou de vague exclamation moqueuse. Un claquement, enfin, provoqua l'illumination dans l'esprit du brun. Une révélation freinée brutalement par une violente douleur à la jambe droite lui arrachant un cri étouffé par sa propre surprise. S'appuyant sur sa jambe gauche pour soulager son muscle, Ralph tourna une dernière fois la tête, se mordant la lèvre inférieur pour s'empêcher de gémir.


Le fouet.

Alors voilà donc la manière choisie par son ennemi pour faire passer son message ? Nul doute que ça risquait de laisser des marques, voire de l'envoyer à la frontière de la mutilation physique si son utilisateur avait réellement l'esprit sadique. Chose qu'il ne doutait pas en l'instant. Sa première mise en garde était plutôt réussie : il avait frappé sa jambe suffisamment fort pour le laisser à boitiller pendant plusieurs jours, mais pas assez pour lui ouvrir le mollet à travers son pantalon. Seulement, est-ce que son dos nu allait supporter le traitement et n'être quitte que de bleus face à la morsure du cuir ? Impossible.
De la même manière qu'il eut une pensée pour Lunis et son expérience lui ayant montré qu'il n'était pas aisé de garder l'esprit serein en milieu hostile, Ralph fut traversé un bref instant par le souvenir d'Evan, alors jeune garçon de douze ans, dont le dos lardé de striures violacées avait été la principale preuve d'accusation contre son propre père l'ayant battu pendant des années. Il en avait gardé trace depuis lors, et en garderai probablement toute sa vie durant, la récurrence des coups de ceinture ayant fini par s'imprimer profondément dans sa chair. Mais ici, la violence des coups avait été forgée par la récurrence alarmante des punitions. Dans le cas présent, le type n'avait droit qu'à une seule chance, une seule séance pour finir sa mauvaise oeuvre. Nul doute que son credo allait être de faire le plus de dégât que possible.

Anticipant, résigné, et tout autant effrayé par le jeu macabre qui allait très bientôt se jouer, Ralph n'eut d'autre solution que de trouver la meilleure position pour supporter sa future torture : ignorant la douleur lancinante traversant sa jambe, il se campa correctement sur ses deux pieds, arquant légèrement les genoux, et joignit les deux coudes de ses bras tendus, faisant saillir les muscles de ses épaules. Rentrant un peu la tête, contractant par la même occasion ses abdominaux, il respira de nouveau longuement. Mais il n'arriverai jamais à se calmer d'une simple bouffée d'air. Il avait peur. Non pas de la mort mais de la souffrance. Le vrai courage n'était pas de s'affirmer sans peur et sans reproche. Il allait probablement hurler de douleur, et il préférait largement le faire plutôt que de se retenir, car il n'était pas un héros, et n'avait rien d'aussi stupide à prouver aux yeux du monde. De plus, c'était exactement ce qu'on attendait de lui : lutter pour coller à une certaine image qu'on devait se faire de sa personne, de fait qu'il devait se sentir [i]obligé[/i] de ne pas crier. Si le spectacle qui allait débuté ravirait probablement Lowell, Arès, et n'importe qui d'autre lui voulant du mal, ce n'était pas pour eux qu'il risquerait de perdre pied avec la réalité : alors il assumait son impuissance face à la situation, de même qu'il allait assumer de ne pas réagir en modèle irréprochable capable d'encaisser le fouet sans sourciller. Gardant les yeux fermés, s'obligeant de nouveau à respirer, et s'estimant prêt à subir, il ferma tous ses sens, et ne se concentra plus que sur son ouïe afin, peut être, d'entendre venir le sifflement aiguë qui allait lui arracher un peu de sa dignité.

Mais rien n'arriva pendant plus d'une minute ...

Une deuxième s'écoula en silence, sans que Ralph ne relâche le moindre de ses muscles. Il savait. Le brun savait que ce silence n'était qu'un prétexte pour qu'il abandonne de lui-même sa concentration, pour qu'il baisse sa garde et ainsi, permettre à son bourreau de frapper fort au pire moment. Cela faisait partie du petit jeu de pression psychologique qu'on tentait de lui faire subir, or sur ce terrain là, il avait suffisamment d'expérience pour ne pas céder à l'envie de se détendre. A sa grande satisfaction personnelle, cela agaça rapidement son tortionnaire, qui ne tarda plus à le lui faire remarquer.

" Puisque Sa Masjesté a l'air prête à recevoir le message, voyons si elle saura faire honneur à son rang. Mais avant, je dois vous racontez une histoire. Une histoire qui sera gravée dans votre chair, j'en ai peur. Allons, commençons. "

D'un geste théâtral, il alluma la caméra, son objectif poussiéreux braqué sur le dos de sa cible.

" Il était une fois un royaume plongé dans l'ignorance. Son peuple était programmé pour correspondre parfaitement à la société dans laquelle il vivait, et heureux celui qui s'y fondait par la grâce des Dieux. Le Roi de ce royaume, qui se portait bien, jouissait d'avoir pour héritiers deux garçons en pleine santé, jeunes et insouciants. Le monarque bénéficiait aussi d'une réputation douce dans le coeur de ses sujets, trop aveugles ou trop heureux d'être sous de bonnes grâces pour voir autre chose qu'un Roi dans les yeux de leur gouvernant ... Le Roi avait un ami qui partageait bien des points communs avec lui : il avait perdue sa femme tragiquement, et il avait à sa charge deux garçons nés de l'union. Parmi ces deux enfants, le plus jeune avait la singularité de penser le monde différemment. Il n'y voyait qu'un troupeau de mouton avare et cruel : pourquoi lui n'était-il pas accepté dans ce monde qui l'avait vu naître ? Son père, qui s'était depuis longtemps plié à la philosophie de son ami le Roi, n'acceptait pas qu'il pense autrement que comme la société. Il fut raillé. Rabroué. Rejeté. Exilé du monde ... Mais se jura qu'un jour, il aurait vengeance, et s’attellerait à la construction d'un meilleur royaume, différent, selon sa propre vision. Le temps passa, et la philosophie du fils Exilé s'affirma, si bien qu'un jour, un miracle vint : elle toucha la grâce de son propre père. Ensemble, ils se rebellèrent contre la tyrannie du Roi, contre le monde conforme, contre les règles instaurées ne laissant pas vivre certains de ses sujets. Il y eu un mort. Puis deux. Puis d'autres. Enfin le doute s'emparait du royaume. Enfin ceux à qui on ne laissait pas d'autre chance que la mort avaient leur mot à dire. Le père, Renégat, et le fils, Exilé, connurent quelques années de paix pour l'établissement de leur propre empire. Il grandit, prit forme, recueillit des sujets. Jusqu'à son apogée, lorsqu'enfin, ils arrivèrent à l'aboutissement de leur rêve, et renversèrent le Roi du royaume rival, le libérant ainsi. Mais un contre-temps survint : le Roi, lâche, avait décidé de mettre son fils, formaté à ses idées, sur le trône du royaume en cas de problème. Le Prince, qui n'était jamais né que pour remplir cette tâche, imposa son pouvoir à son tour. Il y eu rébellion, mais elle fut étouffée par de belles paroles calquées sur les discours de feu le Roi ... La liberté était perdue. Pire. Le Prince, fou de vengeance, et sourd au fait qu'il puisse y avoir autre chose que la manière de faire de son père, traqua sans relâche la philosophie du Renégat et de l'Exilé, rejetant toujours plus la différence. Il sombra à son tour dans la tyrannie, et utilisa l'héritage malsain de son père pour accomplir son désir : celui de supprimer ceux qui tentaient de gagner la liberté et avaient renversé le Roi. Sa quête fut malheureusement couronnée de réussite, lorsqu'un beau jour, il abattu sans aucune pité, sans aucun remord, sans laisser la moindre chance de survie, le Renégat. Le tout au nom d'une justice corrompue par son propre conformisme.

Ce fut le premier mort. Son premier mort. Et pour cela, il doit payer. "

Il y eu une inspiration, un sifflement, une détonation, un hurlement. Ralph n'avait en aucun cas été détendu par le récit idéalisé et fondamentalement grotesque qu'on venait de lui narrer. Mais lorsqu'il reçu le premier coup, lancé sans aucun ménagement par son bourreau probablement compatissant envers sa propre histoire, la douleur supplanta toutes ses craintes. Le choc l'avait fait brutalement sursauté, son corps tout entier se plaquant de lui même contre la parois du mur contre lequel il était tourné. L'impact avait été violent, et bien au delà du fait qu'il allait probablement avoir un hématome là où le cuir avait claqué, la seconde qui suivit ne lui laissait plus aucun doute quand au fait qu'il devait avoir eu la peau arrachée sous le coup. Une terrible sensation d'élancement se propagea jusque dans ses tripes. Puis ce fut au tour de la brûlure de lui torturer l'esprit : il avait l'impression maintenant qu'un fer chauffé à blanc était délicatement posé le long de cette interminable plaie lui traversant l'horizon du dos. Une impression renforcée par le sang chaud ne tardant pas à couler, chaque goûte brûlant un peu plus le trait de chair à vif. Secoué de spasmes douloureux, grognant, gémissant, ronflant face à l'horrible sensation d’échauffement, de tiraillement, de torsion, de décharge, seuls qualificatifs lui venant à l'esprit en l'instant, Ralph secoua la tête, agita ses liens, sa respiration se faisant plus forte et irrégulière que tantôt. Ses pensées occupées à affronter la douleur s'apaisèrent un peu, si bien qu'il put après d'interminables secondes se concentrer, enfin, sur le récit qui avait continué pendant sa lutte contre lui-même. A peine eut-il le temps de capter quelques mots qu'un second coup s'abattit, repassant par endroit sur le premier, lui arrachant à nouveau un hurlement déchirant, le forçant à nouveau à se débattre contre son corps tout entier transit de froid et de douleur.

Ralph ne pouvait pas suivre le récit censé être le symbole de son expiation, et par la même occasion une grande partie du message délivré à Arès. Il ne pouvait pas se concentrer, happé dans un cercle vicieux continu : il y avait d'abord cette inspiration, seul chose que captait son oreille, puis cet enchevêtrement de sensations toujours plus fortes, toujours plus paralysantes, toujours plus vives. Bientôt, ses jambes tremblèrent, et il se sut en état de choc. Ne pouvant soutenir son propre poids, il baissa les yeux vers le sol, et une lueur lucide lui fit remarquer que ses chaussures étaient éclaboussées du sang qui perlait en minces filets le long de son pantalon. Une forte nausée, qu'il réprima, lui monta lentement au nez à mesure que giclait l'épais liquide rouge tantôt le long de ses côtes, tantôt aux extrémités de ses épaules affaissées.

Combien de coups avait-il essuyé ? 
Il l'ignorait. 
Quels morts le fouet lui avait fait payé jusque là ? 
Il l'ignorait.
Quand son calvaire allait prendre fin ? 
Il l'ignorait.

Mais l'espace d'un instant, la pensée qu'il serait mieux mort lui effleura l'esprit.

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