dimanche 12 janvier 2014

[ Event ] - Décembre 2018 (2)



35h de jeûne n'avaient pas encore eu raison des forces de Ralph. Assis en tailleur à même le sol, poings liés, le plus grand inconfort de sa situation n'était ni la captivité, ni l'humidité ou la température ambiante, mais bien la corde serrant fort ses poignets endoloris accusant le faible flux sanguin et la brûlure que leur causait les liens. Son expérience lui faisait garder son calme, et se contentant de garder les yeux fermés, sa principale occupation se résumait à écouter les allers et retours de ses ravisseurs dont il entendait les pas à l'étage du dessus. Il ne pensait ni à la mort, ni à la douleur, car c'était précisément ce pourquoi on l'avait enfermé, solitaire, dans cette pièce sombre sans fenêtre : pour faire naître dans son esprit l'angoisse des événements futurs. Or Ralph ne leur ferait pas ce plaisir, et pour se détendre, passait le plus clair de son temps à se réciter des chansons des dessins animés Disney. Quand il allait apprendre à sa femme qu'au lieu de stresser comme un dingue à s'imaginer les pires atrocités qu'on puisse lui faire, et la liste était plutôt longue, il revisitait mentalement le concept de karaoké à la sauce conte de fée, elle allait probablement adorer l'idée de chanter " Soyez Prêtes " au nez de ses bourreaux, avec l'accent qui va avec.

Il esquissa un sourire amusé. Ne pas perde ses moyens dans une situation difficile relevait de la bravoure. Mais rire de sa propre bêtise face au manque de sérieux dont il faisait preuve en l'instant précis était estampillé du logo " Sandra ". Jadis, il aurait pu éprouver de l'angoisse, retenir son souffle au moindre mouvement suspect, craindre pour sa vie, serrer les dents face à l'humiliation de la situation ... Mais plus maintenant. Non pas qu'il n'ait plus du tout peur, car pour entretenir un niveau d'éveil minimum, il se devait d'entretenir l'adrénaline coulant dans ses veines. Mais il était tellement plus amusant de penser à ce que d'autres, en l'occurrence Sandra, lui avaient apporté en cas de prise d'otage qu'il ne pouvait s'empêcher de fredonner " Hakuna Matata " pour ne pas péter un plomb, ajoutant dans un coin de sa tête que l'ironie n'était pas une mauvaise arme face à l'adversité.

Une démarche lourde attira son attention au milieu du refrain de " Comme un Homme ". Tournant tête et buste vers l'unique porte d'entrée et de sortie de la remise, le reste de son corps orienté vers le mur, il tendit l'oreille pour savoir si quelqu'un comptait rentrer dans sa prison de fortune pour lui parler. Car depuis toutes ces heures, Ralph ne savait même pas pourquoi et pour qui on lui avait envoyé un comité d'accueil ayant pris le risque de se déplacer de jour avec un otage. Bien sûr, il avait eu tout le temps de fomenter ses propres hypothèses, et il n'ignorait pas que tout cela devait avoir un rapport avec l'alléchante récompense mise sur sa tête depuis qu'il débusqué un bon vieux scandale de chantage au sein même de la 3ème. Depuis, il avait la curieuse impression d'être un gibier lâché en territoire hostile, courant à l'aveugle pour éviter de ne rentrer sur le territoire de l'un de ses trois vieux démons. L'ex-directeur du SAVES n'ignorait pas non plus être un pion-clé du jeu que se livraient ses adversaires entre eux, et bon nombre de ses collègues et amis pensaient, à raison, qu'il finirai par se faire exécuter pour alimenter cette bonne vieille roue de la vengeance. Mais dans le cas présent, si l'un ou l'autre de ses adversaires avait voulu le voir mort, il n'aurait pas attendu des heures durant pour se faire. Ils attendaient probablement quelque chose de lui. Ce qui ne laissant pas beaucoup de doute quand au fait qu'il allait bientôt passer un mauvais quart d'heure.

La porte de sa cellule improvisée s'entrouvrit lentement, brisant le silence des lieux par un grincement long, plaintif, et peu agréable à ses oreilles. Ralph, toujours tourné à moitié seulement, toisa du coin de l'oeil l'un des hommes dont il avait eu le déplaisir de faire la connaissance au terme d'un remue ménage musclé à l'appartement. Peut être cherchait-il à l'impressionner avec son air hautain et son sourire mielleux. Le même genre de sourire que ferait un type impatient de partager une blague impayable avec un bon ami. Le sadisme en plus. Un rictus amusé que ne partageait pas son otage, impassible, scrutant sans un mot la folie du clan rival, dont il ne pouvait pas ignorer qu'il était en partie la source et l'inspiration. Un silence étrange pesa sur les deux hommes l'espace d'un instant ... Un silence mué d'une réflexion de la part des deux partis. Mais Ralph n'avait aucune envie de savoir, au vu de la lueur d'intérêt luisant dans l'oeil du type, à quoi il pouvait bien penser en le dévisageant comme ça. Laissant la porte ouverte pour avoir de la lumière en cette fin de journée, l'homme fit deux pas vers son otage, se donnant l'air de maîtriser la situation avant de prendre la parole d'un ton plus méprisant qu'autoritaire.

" 35h, et personne pour venir nous supplier. Où est donc votre famille, Votre Majesté ? "

Pour toute réponse, le brun haussa un sourcil. Ce n'était ni pour exprimer de la déception, ni pour contredire le fait qu'il demeurait encore tout seul dans la pénombre : en réalité, il était plus étonné que surpris d'être affublé du sobriquet " Sa Majesté ". Un tic de langage, ici une insulte sans aucun doute, qui ne pouvait pas venir d'ailleurs que du clan de Lowell, lui même hérité de celui de Régis. Il n'y avait que cette bande de fanatiques pour hiérarchiser le SAVES, et le classer comme étant le Roi blanc de l'échiquier. Ainsi avait-il au moins appris une chose, il était actuellement entre les mains du successeur attitré du Loup Rouge ... Ce qui ne l'empêcha pas de garder le silence face à la question. Son bourreau ne s'en agaça pas, tout au contraire, et se mit à sourire plus que nécessaire pour faire comprendre à son otage qu'il attendait une telle réaction de sa part. Ralph pu se faire une idée plus précise des traits de son agresseur lorsque ce dernier se mit à lui tourner autour, pas après pas, ses petits yeux noirs cernés le fixant avec insistance. A vue de nez, l'homme était un peu plus grand que lui. La quarantaine passée sans aucun doute, et dont la principale qualité devait être un manque de scrupule dans les boulots qu'on lui confiait. Souvent, le brun s'était demandé quel plaisir pouvait retirer une âme en peine à faire souffrir physiquement et mentalement son prochain. Pour le comprendre, encore fallait-il avait goûté un jour à ce sentiment de puissance décrit par ces fous. Or pour Ralph, ce n'était pas le cas, et l'incompréhension ne pouvait que régner en cet instant.

" - Il est un peu tard maintenant. On va devoir inciter la famille royale à bouger un petit doigt pour son Roi.
- Est-ce là votre objectif ? Soutirer de l'argent ? Je sais que Sandra a touché le gros lot, mais j'ai toujours cru jusqu'à présent que le camp adverse avait toujours plus de petites coupures que nous. Après tout, il est plus simple de salir de l'argent que de le blanchir, mais vous concernant il ... "

Un rire amusé le coupa dans son élan sarcastique. L'homme, qui s'était à présent arrêté de tourner tel un vautour cherchant le meilleur angle d'attaque pour dévorer sa proie à l'agonie, tendit sa main osseuse et empoigna une touffe de cheveux, qu'il tira vers l'arrière, obligeant automatiquement Ralph à lever le menton.

" - Belle imitation. La teinture, le tatouage, le style ... Tout était parfaitement calculé pour faire passer le Roi pour plus que ce qu'il n'est. Maître Lowell a apprécié. Et il m'a demandé d'ailleurs de vous faire un cadeau. "

Dans une position inconfortable, la gorge découverte, la nuque ployée vers l'arrière, Ralph vit du coin de l'oeil son bourreau plonger sa main libre dans une de ses poches, pour venir en sortir quelque chose que dans un premier temps, le brun ne vit pas. Il devina, lorsque les doigts noueux et usés à la besogne de l'homme repassèrent devant ses yeux, que ce mystérieux cadeau était en réalité à moitié transparent, petit et ovale comme ...

Une lentille de contact.

Il garda le silence, l'allusion était de toute manière évidente. Lors de cette soirée qui lui valait d'avoir les cheveux teintés en noir, il en avait portée des similaires. Une de couleur bleue. L'autre de couleur rouge, véritable marque de fabrique du clan de Régis en plus du tatouage. Le sourire du type n'en fut que plus grand. Méticuleusement, il prit la lentille entre son pouce et son index, et tenant fermement la tête de sa victime basculée vers l'arrière, il plongea les doigts directement sur son oeil droit. Ralph, histoire de retarder l'obtention de ce cher cadeau empoisonné, ferma l'oeil dans l'espoir d'agacer son tortionnaire. Bientôt, il dû renoncer à se défendre, comprenant qu'il risquait d'être éborgné sous peu avec ce rustre enfonçant son index gras sous sa paupière supérieure. L'indélicatesse de son ophtalmo de fortune lui valut de gémir de douleur lorsqu'il lui écrasa l'objet droit dans l'oeil, et qu'il tenta de la centrer lui même, lui raclant la sclère au passage. Une désagréable sensation de brûlure le prit une fois le cadeau remis : son oeil pleurant bientôt sa douleur lui fit réaliser que quelque chose n'allait pas.

De quoi était enduite la lentille ?

Il l'ignorait, mais la pénible sensation d'avoir l'oeil cerclé d'aiguilles lui rappela entre quelles mains il venait de tomber. Plissant les yeux, il distingua une fois la poigne lui maintenant la tête jetée en arrière relâchée, que son bourreau était en train d'installer du matériel numérique juste derrière lui, à la lumière d'un jour à peine présent. Il alluma la seule ampoule présente dans cette pièce lugubre, aveuglant au passant un peu plus le brun, et se mit, en sifflant, à installer une caméra sur trépieds en plein centre de ce qui allait devenir sous peu sa salle de torture personnelle.
D'interminables minutes passèrent, le seul bruit notable restant le boucan que faisait le type pour installer une pauvre caméra refusant de tenir sur trois pieds. Quelques jurons, l'aide d'une bande de scotch souple, et une nouvelle galère pour trouver une prise susceptible d'être utilisable retardèrent le début des hostilités. Ralph, qui se doutait que tout ceci ne présageait rien d'autre qu'une séance d'interrogatoire ayant pour but d'impressionner ennemis et alliés, préféra museler son instinct pessimiste pour s'éviter d'appréhender le moindre traitement. Il suivait du regard les déplacements de l'homme, espérant rester le plus neutre que possible, se contentant simplement d'hausser un sourcil chaque fois qu'il était gratifié d'un sourire mesquin le prévenant qu'il allait se passer quelque chose incessamment sous peu.

Lorsqu'il eu enfin terminé son effroyable bataille contre le monde numérique sauvage, le visage rougis par le froid et l'effort, le bourreau se tourna envers vers sa victime dans l'espoir de lire, enfin, de la peur au fond de sa pupille. De toute évidence déçu par l'absence d'émotion dans l'expression du brun, il passe à la vitesse supérieure : contrairement à ce que Ralph pensait, il n'allait pas faire face à la caméra. L'empoignant par les épaules, le forçant à se mettre sur ses pieds, l'homme entreprit de la plaquer brutalement et de tout son poids contre le mur du fond. Son front heurta la pierre froide, ses phalanges émettant un craquement sec lorsqu'elles s'écorchèrent contre. Grognant, écrasé tout entier par une carrure nettement supérieur à la sienne, le brun ne se débattit pas, ayant rapidement compris que la moindre velléité d'engager un combat au corps à corps risquait de lui coûter un bras, ou pire, de se retrouver le nez éclaté contre le mur. Une perspective peu alléchante, dans la mesure où ce qui l'attendait risquait d'être bien supérieur à une simple fracture du nez. Autant préserver ses chances de survie, et ne pas se donner l'excuse d'avoir du rab sur sa future facture d'hospitalisation. Il ronfla, remuant juste les épaules en signe de protestation, et se vit manipuler comme un pantin désarticulé par son future tortionnaire. Il lui fit lever les deux bras juste au dessus de la tête, les poignets toujours solidement attachés, qu'il relia à une corde pendant mollement au bout d'une poulie rouillée au plafond. Convaincu que sa cible ne bougerait plus, mais se méfiant tout de même d'une réaction violente venant de son jeu de jambe, l'homme relâcha sa poigne contre sa nuque, et termina de s'assurer d'avoir les mains libres en lui écrasant les deux chevilles du plat de ses chaussures. Ce à quoi, plongeant la main dans l'autre poche de son manteau, il en trifouilla le contenu quelques secondes avant d'empoigner le bas de la veste de son otage.

Ce n'est qu'en sentant le courant d'air froid remontant le long de sa colonne vertébrale que Ralph réalisa que le type était en train de le déshabiller à la manière forte.

Découpant littéralement veste et chemise avec une paire de ciseaux dont le Roi pouvait sentir la lame l'érafler de temps en temps, le bourreau s'appliqua à suivre les coutures du dos et des manches afin de séparer le tissus en deux morceaux, tel un patron que l'on déplie avant assemblage. Arrachant sèchement tout ce qui lui résistait, Ralph se retrouva bientôt torse nu, ses muscles se crispant brutalement face au froid nouveau mordant sa peau. Un frisson, d'abord, lui donna la chair de poule, puis bientôt, son corps tout entier se mit à grelotter, peu habitué à résister à de basses températures sans rien sur le dos. Serrant les dents, sa fierté légèrement entamée face au ridicule de la situation, le brun regardait par dessus son épaule pour tenter de lire l'expression de celui qui devait probablement exécuter des ordres précis. Mais son oeil pleurant toujours, la paupière enflée à la suite de la brutalité avec laquelle on lui avait sommé de porter une lentille du clan, il ne distinguait pas grand chose de concret. Alors qu'il s'attendait à une quelconque réflexion ou commentaire piquant sur la tournure des événements, Ralph eut un sursaut autant surpris qu'inconsciemment désobligé lorsqu'il sentit deux doigts retracer la ligne irrégulière mais sensible de sa cicatrice. Celle qu'il portait sur la poitrine, témoignage de son accident l'an passé, et du fait qu'il avait passé six bonnes heures avec un tableau de bord broyé enfoncé en diagonale à hauteur du plexus solaire. Il n'avait pas à proprement dit " mal ", mais la sensation restait malgré tout désagréable. Non pas qu'il s'attende au contraire ... Pour l'heure, il ne comprenait même pas pourquoi le type venait de s'autoriser cette fantaisie. Assuré d'avoir capté son attention, le concerné eu un rire léger.

" Celle là vient du clan d'Arès. Un essai raté. Une erreur. Le témoignage d'un cuisant échec ... Qu'est ce que ça fait, d'être le symbole vivant de l'incompétence de quelqu'un ? "

Le bref silence indiquant probablement que Ralph se devait de répondre à la question, il souffla entre ses dents qu'il ne ressentait absolument rien de tout cela, et que ça lui était égal. Si entre eux, Arès et Lowell considéraient que cette cicatrice n'avait pas lieu d'être, lui n'était pas plus ému que ça dans la mesure où c'était au final peu cher payé pour avoir survécu à cette tentative ouverte d'assassinat.

" Pour nous, c'est une provocation. Cette cicatrice existe, et pour vous, c'est juste un petit rappel de ce qui peut arriver à tout moment. C'est pourquoi Maître Lowell a décidé que c'était un bon terrain de vengeance. Arès est un tyran, même pour nous. Alors nous voulons lui renvoyer le même message ... En mieux. "

L'adrénaline augmenta d'un cran l'appréhension. Tout ceci n'avait aucun sens ... Ces mots, cette phrase, cette idée n'avait absolument aucune logique. Pourtant, à travers l'argumentation douteuse de ce représentant du Loup Rouge, Ralph venait d'y comprendre qu'il allait servir de papier pour narguer le clan d'Arès. La question était maintenant ... Quel genre d'encre allait-il utiliser ?

Et quelque chose lui disait qu'il allait en employer une aussi indélébile que la cicatrice qu'il avait gracieusement reçue d'Arès.

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