lundi 29 décembre 2014

[ Event ] - Décembre 2018 (4)


Camouflée derrière d'épais branchages de sapins renversées à même le sol, Sandra venait de finir son tour des lieux. Elle avait contourné la maison de fortune digne de Blanche-Neige, dans le sens des aiguilles d'une montre, mais n'y avait nullement aperçu sept nains. Dans la pièce côté sud, là où son regard avait été attiré par la lumière de la télévision, elle n'y avait trouvé qu'un pauvre type affalé dans un fauteuil, dont elle s'était empressée de savoir s'il portait une arme ou non à la ceinture. La nuit tombante l'aidait peut être à passer inaperçu, mais le givre s'installant sur les fenêtres à mesure que le mercure passait sous la barre des 0 rendait bien moins facile son opération d'espionnage. Et pour cause, elle aurait eu l'air maline à frotter la buée pour y jeter un oeil. Un simple regard depuis l'intérieur vers la vitre aurait suffit à la trahir : on ne loupe pas un gros trou essuyé du dos de la manche si facilement. Néanmoins, elle avait pu se faire une idée plus précise de l'occupant numéro un et elle affirmait sans trop se tromper qu'il n'avait rien d'un latino-américain. Ce qui pouvait rayer de sa liste mentale le clan cubain comme revendicateurs de cette merde.

En temps normal, Sandra n'aurait pas hésité une seconde quand à l'attitude à adopter pour investir les lieux. Avec un peu de maquillage et de charme, elle se serait faite passer pour une pauvre femme perdue sur les sentiers de la montagne en tenue beaucoup trop légère pour être honnête. Quelques regards, quelques gestes, et elle aurait roulé cette bande de rustre dans la farine dans le but de les faire frire pour plus tard. Dans de l'huile bouillante à souhait si possible. Or là, elle se doutait que ces zouaves avaient probablement eu sa description physique et psychologique avant d'être lancés dans le feu de l'action. Le fait qu'elle soit actuellement affublée d'une teinture blonde - ce qui était totalement anti-naturel au vue de sa crinière noire fétiche - ne pouvait pas non plus échapper à son signalement. A moins d'avoir sous la main des moustaches, un faux menton, et une paire de couilles, Sandra n'irait pas loin en attaquant de front. D'où qu'elle ait préférée continuer son tour, et passer le nez devant chaque fenêtre se présentant à elle. La baraque semblait dépourvue d'étage, au vue de sa forme saugrenue oscillant entre le champignon et le sex-toys donnant au toit une forme ridiculement haute. En revanche, il se pouvait parfaitement que ce trou à chasseur n'abrite un sous-sol pour entreposer skis, fusils, peaux de bêtes, et elle ne savait quoi encore. Un endroit parfait pour séquestrer quelqu'un tout en étant pratiquement certain qu'aucun flic foutrait les fesses aux alentours ...
Un sourire vengeur se dessina sur son visage. Si elle ne pouvait rentrer dans la souricière ... Autant jouer au chat, et faire tout pour les obliger à en sortir. Ce qui supposait que la commissaire prenait pour acquis que cette bande de vilains étaient bien les vilains qu'elle cherchait depuis des heures. Dans le cas contraire, elle n'aurait plus qu'à jouer les imbéciles ... Qu'importe ! 
Elle était donc à présent cachée derrière ces branchages renversés dans l'allée, fomentant son plan avec les moyens du bord. Elle disposait de bois, certes, d'une arme de poing calibre 9mm qu'elle avait pris soin de ranger dans sa doudoune avant de partir jouer aux cow-boys et aux indiens, de son smartphone, et ... C'était à peu près tout. Pas de quoi casser trois pattes à un méchant terroriste en cavale. Sauf quand on s'appelait Sandra. Levant le nez vers les hauteurs, se frottant les bras en signe qu'elle luttait toujours tant bien que mal contre son envie de sauter dans un bain chaud, la brune se doutait que son salut pouvait venir de l'effet de surprise. Le tout était de décider si elle allait laisser la vie sauve à ces rustres ... Une question qu'elle se posa bien vite avant de clore le sujet comme il lui était venu. Sandra, même si elle était habilitée à porter une arme, à s'en servir, à se procurer les meilleures raisons pour enfiler du plomb dans le derrière de ces types, n'avait en aucun cas le droit de vie ou de mort sur quelqu'un, aussi mauvaise soit cette personne. L'uniforme amenait son lot de responsabilités, et il existait bien sûr des situations où tirer en pleine tête pouvait se justifier. Dans l'instant, si elle prenait la décision de s'occuper elle-même du sort de ces bougres, rien ne pourrait la différencier de ce qu'ils essayaient de faire. Tuer par vengeance restait un meurtre, aussi bien aux yeux de la loi que de la conscience humaine. Elle n'était ni Dieu, ni homme, cette dernière condition étant un handicape plus ou moins soupçonné dans le milieu : tirer aujourd'hui dans le but de tuer par représailles ou tout autre motif n'était pas digne de tout ce en quoi elle croyait. De surcroît, Sandra était quasi certaine que si ça venait à se produire, Ralph, au mieux, lui ferait sa fête, au pire, la renierait. Elle n'était pas femme à tomber dans les clichés. Ni dans l'apparente facilité du schéma se dessinant à elle : méchant enlevant gentil mari pour raisons malsaines = droit de faire un carton. Non. Son carton à elle, elle le ferait sur une cible, pas sur un être humain. Et pour cause, elle valait tout de même mieux que cette bande de mercenaires. Sa fierté personnelle l'avait poussé jusque là, ce n'était pas pour trahir son credo au moindre tournant périlleux. En épousant Ralph, la Reine avait parfaitement conscience qu'elle signait un CDI en tête de la liste noire du clan des fanatiques de Régis. Elle acceptait la défaite, le doute, la peur, la douleur ... Mais salir son honneur n'avait rien de glorieux ou de satisfaisant dans ces conditions. Les règles du jeu, elle les avait établie conjointement avec son partenaire après des années et des années de lutte, de déceptions, de joies, d'expérience. Elle en avait pleuré, elle en avait rit, elle en avait bavé, elle en avait rêvé. Le tout, en même temps, dans le but de forger sa propre opinion de la vie, et sa propre ligne de conduite. Hors de question de tout faire foirer. Le seul truc qu'elle avait l'habitude de capoter, c'était un homme ! Et encore.
Ayant fini de cogiter, Sandra s'attela à escalader un des sapins en bordure de la modeste propriété, s'assurant que toute âme qui vive à l'intérieur ait à contourner les murs pour trouver répondre à la question : " C'est quoi ce délire ? ". S'asseyant en équilibre précaire sur une branche à mi-hauteur, de telle sorte qu'elle s'assure de ne pas se fracturer une jambe en sautant pieds joints dans la neige en contrebas, elle s'attela à la tache ô combien acrobatique de défaire sa doudoune sans basculer en avant la tête la première. Dézippant la fermeture éclaire, puis déboutonnant à la hâte sa chemise, vidée de toute envie de rester en tenue légère par un froid aussi glaciale, elle atteignit son objectif : son soutien-gorge, qu'elle dégrafa en quatrième vitesse avant de le laisser tomber négligemment par terre, à même la neige, pas trop loin de sa position, mais pas non plus complètement en dessous. Se rhabillant, la réflexion qu'elle était complètement tarée lui traversant l'esprit pour la première fois depuis 35h environs, Sandra termina ses préparatifs en s'assurant d'avoir encore assez de voix pour jouer la comédie. S'estimant prête, un sourire impayable aux lèvres, elle débuta alors son plan foutrement machiavélique pour faire sortir tous ces mâles de leur cachette sans trop se fatiguer.
" Au secours ! A l'aide ! Quelqu'un ! Hiiiiiiiii ! "
Une première tentative, suivit d'une seconde salve d'appels de donzelle en détresse, eurent pour effet de faire s'ouvrir la porte principale de la baraque. Tendant l'oreille, modulant sa voix en feintant d'avoir entendu âme qui vive, la brune continua son numéro, de telle sorte qu'elle pu voir la silhouette prudente d'un baraqué en mal de sexe s'approcher de sa position, un flingue entre les mains. Il déambula un moment entre les arbres, gardant le silence, jusqu'au moment où par un étrange miracle masculin, il tomba sur la lingerie fine étendue dans la poudreuse. Plongeant les deux mains dans la neige pour récupérer le précieux de tissus, Sandra aurait payé cher pour avoir l'occasion de voir la tête du bonhomme de plus près, probablement abasourdit par sa trouvaille. Et illuminé par l'hypothèse qu'une nana SANS soutif devait traîner dans le coin.
" Hey ? Y'a quelqu'un ... ? "
Bingo. Sandra, jouant les effarouchées, poursuivit son plan infâme. 
" - Enfin, de l'aide ! S'il vous plaît ! Je suis coincée !
- J'ai votre ... Euh ... Soutien-gorge ... Madame ?
- Mademoiselle. Je randonnais sur le sentier voisin quand je suis tombée tout le long du flanc de colline, et je crois que je me suis foulée la cheville. Sans compter que les branches et les rochers m'ont arraché mes vêtements et écorché les genoux. Je meurs de froid ! 
- Où êtes vous ?, demanda le gars, un peu suspicieux.
- Suivez ma voix ! Oh attendez, je vous vois ! C'est bien vous avec ce gros blouson de cuir ? Je suis sur votre gauche ! Non, l'autre gauche ! Voilà, avancez encore un peu, je suis derrière l'arbre juste là. Est-ce que vous pourriez me rendre mon ... Mon ... Enfin ...
- Euh, oui.
- Ne regardez pas ! " sermonna-t-elle, faussement indignée.
Sandra eut toutes les peines du monde à se retenir d'éclater de rire en observant le pauvre bougre, la main sur les yeux, tendant à une femme invisible derrière un arbre un vrai soutif. COMMENT diable arrivait-elle à faire une telle prouesse ? Il suffisait d'un peu de lingerie pour faire perdre toute crédibilité à un homme ! Une leçon qu'elle avait apprise de longue date. Décidant qu'elle avait assez profité de la naïveté de ce type, et craignant qu'il ne fasse volte face et se jette à bras ouvert là où il pensait voir une femme nue, Sandra prit le taureau par les cordes et lui bondit dessus avant que ce ne soit l'inverse. Lui flanquant un coup de genoux dans la mâchoire au moment d'atterrir, l'assommant au passage, elle veilla en priorité à éloigner le 9mm qu'il tenait dans les mains pour ne pas risquer de se prendre une balle perdue. La dégringolade aérienne plaqua instantanément le pervers la face contre la neige, la lèvre saignante, le regard flou. Le prenant en clé de bras, cherchant rapidement quelque chose pour l'empêcher de hurler à tout va qu'il y avait une folle furieuse à poil pratiquant le catch dans le jardin, la brune eu à son tour l'illumination en posant les yeux sur son soutien-gorge. L'empoignant d'une main, elle le noua autour du bec de l'inconnu, lui faisant littéralement avaler, serrant fort d'un noeud derrière les oreilles. Assurée qu'il ne braillerait pas, il lui fallut quelques secondes en rab pour trouver un moyen de l'attacher quelque part. Au final, elle opta pour enfermer sa proie dans le cabanon à outils un peu plus loin dans le jardin, scellant la porte avec une paire de cisailles qu'elle avait dégotée là. Jetant un dernier regard au type voyant des étoiles, ou autre chose qu'elle n'avait pas envie de savoir, elle haussa les épaules.
" Dommage. Je l'aimais bien ce soutif. Profite l'ami, t'en auras pas d'autre ! "
Refermant la porte horriblement grinçante sur son nez, elle s'en retourna près d'une fenêtre qu'elle avait vue s'allumer depuis son perchoir. Quelqu'un d'autre était visiblement réveillé et en train de vaquer à ses occupations. La question étant maintenant de comment faire pour le neutraliser à son tour ... 
Sandra allait pour refaire un tour des lieux, et vérifier au passage le 4x4 qu'elle n'avait pas suffisamment inspecté à son goût, lorsqu'elle se figea au milieu du jardin, ses épaules saupoudrées par la neige recommençant à peine à tomber. Tendant l'oreille, incertaine, son rictus fier et amusé s'estompa brutalement. Quelque part dans cette maudite baraque, elle venait d'entendre l'écho d'un cri. Et la voix, dont n'importe qui aurait pu y déceler l'intonation de la douleur, lui était bien trop familière pour qu'elle ne s'en préoccupe pas.

Aucun. Sauf une.

" Ralph ... ! "

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